MÉMOIRE DE MARC TATANASCI LALONDE

Sommaire

Contrairement à d’autres pays développés, le Canada n’a pas fait preuve d’un grand leadership au niveau fédéral pour ce qui est des investissements dans l’éducation préscolaire. De plus, par rapport à son PIB, le Canada a, dans ce domaine, les dépenses les moins élevées de tous les pays développés (Université de Toronto, 2006). Même si les faits concernant les coûts et avantages directs et indirects des investissements dans l’éducation préscolaire sont incontestables, le présent gouvernement fédéral ne semble pas s’en soucier. Si le gouvernement pense vraiment aux moyens

·         d’augmenter la productivité à long terme de la population active,

·         de réduire le coût du soutien orthopédagogique dans les écoles,

·         de réduire les coûts globaux des soins de santé,

·         de réduire les coûts liés à la criminalité, il est temps pour le Canada d’aborder le nouveau millénaire en commençant à consacrer des efforts au développement de la petite enfance.

Un système universel, accessible et durable de garde d’enfants assurant des soins de qualité constitue un élément essentiel à cette fin. Un tel système appuierait les familles de travailleurs et, en même temps, permettrait aux parents qui restent à la maison de donner à leurs enfants l’expérience du contact avec les autres.

Même si le Canada a un taux d’imposition des sociétés qui compte parmi les plus bas du monde développé, il projette de le réduire encore. En ajoutant un point de pourcentage au taux d’imposition des sociétés et en annulant les diminutions prévues, les coûts directs d’une initiative de garde d’enfants deviendraient nettement plus abordables. Le taux d’imposition des sociétés demeurerait compétitif, compte tenu des autres importantes ressources que le Canada met en œuvre pour attirer des investissements.

Un engagement en faveur du bien-être des enfants canadiens entraînerait des gains économiques immédiats ainsi que d’importantes économies à long terme.

Une économie durable

Pour avoir une économie durable, il est indispensable de penser à long terme. Le rôle du gouvernement consiste à amorcer et à soutenir une planification économique à longue échéance pouvant profiter à l’ensemble du pays. D’après le rapport publié en 2011 par la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et la Banque mondiale, la meilleure initiative à long terme qu’un pays puisse prendre est d’investir dans le développement de la petite enfance (DPE). Selon ce rapport, l’investissement dans le DPE :

·         prépare l’enfant à l’école et favorise de bons résultats scolaires;

·         améliore la santé physique et mentale, réduisant les coûts du système de soins de santé;

·         réduit la probabilité des comportements à risque élevé comme le tabagisme, les activités sexuelles risquées, la toxicomanie et la criminalité.

La recherche a établi depuis longtemps que les investissements dans le DPE ont un rapport avantages-coûts élevé. D’après la récente analyse de la Banque mondiale, ces investissements ont un taux de rendement annuel de 7 à 16 p. 100.

L’investissement dans le DPE joue également un rôle clé dans la réduction et la prévention de la pauvreté et des coûts qui y sont associés. D’après un rapport récent, le coût global de la pauvreté dans la seule province de la Colombie-Britannique s’élèverait à 8 à 9 milliards de dollars par an, tandis qu’un programme complet de réduction de la pauvreté ne coûterait que 3 à 4 milliards de dollars par an (Ivanova, 2011). Ainsi, un tel programme assurerait des économies annuelles de 4 à 5 milliards de dollars.

L’investissement dans le DPE présente un autre avantage économique : sur le plan des coûts, il est extrêmement efficace pour produire une population active compétente et bien formée. Cet avantage s’applique à toutes les familles canadiennes, y compris les parents qui restent à la maison. Les enfants d’aujourd’hui n’ont pas l’expérience des pairs que possédaient les générations précédentes. Ils ont besoin de compagnons/compagnes de jeu et d’activités ou de sports organisés pour rencontrer des enfants de leur âge. Les enfants doivent apprendre à coopérer, à partager, à attendre leur tour, à développer le contrôle inhibiteur, à exprimer leurs sentiments d’une manière appropriée et à communiquer efficacement, ET CELA AVANT d’aller à l’école primaire. Les expériences préscolaires développées sous la direction d’éducateurs compétents créent un environnement dans lequel les enfants peuvent acquérir de précieuses aptitudes à un moment critique de leur développement. La main-d’œuvre la plus productive n’est pas seulement instruite; elle possède aussi des compétences qui lui permettent de travailler efficacement au sein de groupes dynamiques et synergiques.

Emplois durables

En investissant dans l’éducation préscolaire, nous aurons une population active durable pour les raisons suivantes :

·         Emplois et production directement attribuables au secteur de la garde d’enfants.

·         Soutien de l’infrastructure sociale dont les parents ont besoin pour maintenir leur participation à la population active.

·         Meilleure possibilité pour les femmes de garder un emploi stable, comme en témoigne la réforme de la garde d’enfants au Québec (Marvin Shaffer & Associates, 2005).

·         Importante stratégie de lutte contre les pénuries futures de main-d’œuvre dues au vieillissement de la population et à la baisse des taux de natalité.

·         Multiplication des occasions et possibilité de dépenses discrétionnaires plus importantes en faveur des travailleurs pauvres, dépenses qui ont des effets multiplicateurs dans l’économie parce que les groupes économiques les moins favorisés ont tendance à dépenser davantage, relativement parlant, dans les économies locales (Reynolds, 2011).

Des taux d’imposition relativement bas

Les impôts constituent le prix que les citoyens doivent payer pour vivre dans une société juste. Le rôle du gouvernement consiste à veiller à la sécurité de ses citoyens et à favoriser des conditions optimales de santé et de bien-être dans la population. Le gouvernement fédéral ayant la responsabilité de protéger les intérêts de tous les Canadiens, le régime fiscal constitue un moyen efficace d’égaliser les chances pour que chacun puisse atteindre un niveau optimal de développement et de productivité (Wilkinson et Pickett, 2009).

Les Canadiens ont besoin d’un gouvernement fédéral capable de faire preuve du leadership nécessaire à une perspective à long terme, allant au-delà des trois ou quatre années du mandat du gouvernement. Le capitalisme nous a appris qu’on ne réalise des bénéfices à long terme qu’en faisant des investissements bien pensés et bien réalisés. De même, le gouvernement doit investir en vue de gains financiers futurs. En accroissant les dépenses consacrées au DPE – ce qui peut entraîner une augmentation à court terme du fardeau fiscal –, le gouvernement peut réaliser des économies à long terme qui réduiront le besoin futur d’augmenter les impôts et pourraient même permettre de baisser le taux d’imposition.

La décision de ne pas investir dans le développement de la petite enfance aurait des coûts très réels : résultats scolaires médiocres, hausse du taux de criminalité, augmentation des coûts du système de santé et baisse future de la productivité de la population active.

Un budget équilibré

Un budget équilibré pourrait permettre de satisfaire à des besoins à court terme, mais à quel prix? Si on recherche des gains à court terme au détriment des investissements à long terme, les coûts ne feront qu’augmenter avec le temps. La récente crise financière montre bien quelles pertes on risque à long terme lorsqu’on fait baisser les coûts pour augmenter les bénéfices à court terme. En investissant dans le développement de la petite enfance, il sera possible d’équilibrer les budgets futurs tout en dispensant à un pays prospère des services essentiels dans le domaine social, en éducation et en santé.

Le Canada aura un taux d’imposition des sociétés qui comptera parmi les plus faibles du monde développé. Une légère hausse de ce taux permettrait au Canada de rester compétitif quand il s’agit d’attirer des investissements internationaux, surtout si nous avons mis en place un plan visant à accroître notre productivité, comme ce serait le cas si nous investissons dans le DPE. Le Canada possède les ressources naturelles et les infrastructures nécessaires pour attirer de nouveaux investissements. Nous avons simplement besoin de veiller à rester compétitifs au chapitre de la productivité à long terme.

Une économie durable

1.    Les enfants du Canada méritent d’avoir un leadership fédéral fort en matière de vision, d’orientation et de cohérence des politiques. La fragmentation qu’on peut constater dans la prestation des services, même au sein d’une même province, témoigne de la nécessité d’un leadership politique global et commun. Le gouvernement du Canada doit accepter d’assumer la responsabilité de tous les enfants du pays et concentrer ses efforts sur l’éducation préscolaire. Il est donc recommandé que le gouvernement place le développement de la petite enfance sous la responsabilité d’un seul ministère et prévoie de saines politiques et un soutien financier adéquat afin d’assurer à toutes les familles canadiennes l’accès à des services de garde d’enfants de qualité, réglementés en vertu d’une seule norme législative.

2.    Pour assurer la qualité des services offerts, il sera nécessaire d’établir un processus destiné à encourager les éducateurs actuels de la petite enfance à atteindre des niveaux d’études plus élevés. Il est donc recommandé que le gouvernement fédéral établisse par voie législative un plan semblable à celui que proposent les éducateurs de la petite enfance de la Colombie-Britannique dans le document Community Plan for a Public System of Integrated Early Care and Learning (ECEBC, 2011).

3.    Compte tenu du fait que, par rapport à son PIB, le Canada a les dépenses les moins élevées de tous les pays développés dans le domaine de l’éducation préscolaire, il y aura une période de transition pendant laquelle nous chercherons à rattraper les autres pays. Il est donc recommandé que le gouvernement fédéral mette fin à la chute rapide du taux d’imposition des sociétés et relève ce taux de 1 p. 100. Le Canada aurait encore un taux relativement bas par rapport aux autres pays développés et pourrait alors réserver 1 milliard de dollars par an aux investissements dans l’éducation préscolaire. Nous avons d’abondantes ressources naturelles, un secteur financier solide, une bonne infrastructure et une main-d’œuvre productive nous permettant quand même d’attirer de nouveaux investissements.

Coûts anticipés

On estime à 1 milliard de dollars par an le coût d’un programme national de garde d’enfants, qui serait accessible à toutes les familles de travailleurs. Cela représente moins de 2 p. 100 du PIB canadien, ce qui correspond bien aux paramètres proposés par la Banque mondiale.

Résultats prévus

Les analyses de rentabilité liées au « modèle idéal » de garde d’enfants (HighScope, Abecedarian Project, Chicago Child Parent Center) permettent de croire que chaque dollar consacré à des services de qualité dispensés à de jeunes enfants et à leur famille rapporte des dividendes pouvant atteindre 7 $. Les études canadiennes, selon lesquelles les expériences préscolaires constituent un élément essentiel de la garde d’enfants, aboutissent à la conclusion que le rapport direct avantages-coûts s’élève au moins à 2 $ pour chaque dollar consacré à la petite enfance (Cleveland et Krashinsky, 1998; Conseil canadien de développement social, 2004). Pour sa part, la Banque mondiale estime à 7 à 16 p. 100 le taux de rendement annuel des investissements dans le DPE. Quelles que soient les analyses effectuées, l’investissement dans la garde d’enfants est rentable, même en faisant les calculs les plus prudents. Il est temps pour le Canada de rattraper les autres pays développés qui obtiennent de meilleurs résultats sociaux, économiques et en santé avant que notre retard ne devienne trop grand.

Références

Abecedarian Project (2011), http://www.earlychildhoodrc.org/events/presentations/campbell-ramey.pdf.

Conseil canadien de développement social (2004), « Facts on Child Care in Canada », Perception, vol. 7, n° 1, http://www.ccsd.ca/perception/2712/fastfacts.htm

Chicago Child & Parent Centre, http://www.waisman.wisc.edu/cls/CLSWEB.PDF et http://www.waisman.wisc.edu/cls/cbaexecsum4.html.

G. Cleveland et M. Krashinsky (1998), The benefits and costs of good child care: The economic rationale for public investment in young children, département d’économie, Université de Toronto à Scarborough, http://childcarecanada.org/publications/other-publications/98/11/benefits-and-costs-good-child-care-economic-rationale-public.

Ministère des Finances, gouvernement du Canada (2005), Mise à jour économique et financière 2005 : Chapitre 3 – Progrès financiers du Canada, gouvernement du Canada, Ottawa, http://www.fin.gc.ca/ec2005/ec/ecc3-fra.asp.

ECEBC (2011), http://www.ecebc.ca/news/integrated_project.html.

HighScope.org (2005), « Lifetime Effects: The HighScope Perry Preschool Study Through Age 40 », http://www.highscope.org/content.asp?contentid=219.

Banque internationale pour la reconstruction et le développement/Banque mondiale (2010), Investing in Young Children: an Early Childhood Development Guide for Policy and Dialogue and Project Preparation, Banque mondiale, Washington, DC.

I. Ivanova (2011), The Costs of Poverty in BC, Centre canadien de politiques alternatives, Vancouver (C.-B.).

Marvin Shaffer & Associates Ltd. (2005), Benefits and Costs of High Quality Child Care: Review of Literature, YWCA de Vancouver, Vancouver (C.-B.), http://www.ywcavan.org/files/Benefits%20and%20Costs.pdf.

A. Reynolds (2011), Large-Scale Early Education Linked to Higher Living Standards and Crime Prevention 25 Years Later, http://www.sciencedaily.com/releases/2011/06/110609141556.htm.

Université de Toronto (2006), Early learning and child care: How does Canada measure up? Child Care resource and Research Unit, University of Toronto, Toronto (Ont.).

R. Wilkinson et K. Pickett (2009), The Spirit Level: Why More Equal Societies Almost Always Do Better, Bloomsbury Press, New York, NY.